MARION BOEHM, L'HUMANISTE

  • Fouzia Marouf: Quelle est la genèse de l'exposition personnelle DE FIL ET DE RENCONTRES ? Marion Boehm : Yasmine Azzi-Kohlhepp...

    © Photo Klaus Boehm

     

     

    Conversation entre Marion Boehm, artiste et Fouzia Marouf, curatrice et journaliste

    Basée à Paris, journaliste depuis quinze ans à travers le monde arabo-africain, Fouzia Marouf dissèque les phénomènes sociétaux et analyse les tendances culturelles. Passionnée par l'humain, elle a travaillé au cœur de trois zones: l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Elle a mené des enquêtes et réalisé des reportages consacrés à la condition féminine pour Afrique magazineLe Monde Afrique, TV5 Monde, L'Obs à Paris; pour Elle Oriental à Beyrouth et pour Telquel à Casablanca.



    Fouzia Marouf: Quelle est la genèse de l'exposition personnelle DE FIL ET DE RENCONTRES ?

     

    Marion Boehm : Yasmine Azzi-Kohlhepp et moi-même avions déjà noué une relation étroite grâce à des échanges d’une rare intensité. Nous sommes deux femmes qui se complètent parce que nous avons spontanément le même état d'esprit et nous pouvons vibrer pour les mêmes choses. 

    Ce qui nous unit, c'est que nous nous intéressons de manière engagée et courageuse aux personnes issues de différents milieux culturels. Nous avons vécu sur différents continents et avons découvert de multiples cultures. Malgré toutes nos différences, nous avons toujours cherché des éléments qui nous rapprochent, qui servent de point d'ancrage pour de nouvelles rencontres et qui sont comme un fil conducteur dans nos vies.

     

    F.M : Parlez-nous du processus créatif lié au collage unique en son genre qui vous a influencé pendant de nombreuses années et à la broderie...

     

    Marion Boehm : L'impression profonde que m'ont laissée les conditions de vie de mes amis dans le township de Kliptown / Afrique du Sud m'a conduit très tôt à utiliser des matériaux usagés et recyclés.  

    Mes collages de papier initiaux se sont transformés en collages mixtes au fur et à mesure que je découvrais la richesse des couleurs des tissus africains. J'aime récupérer de vieux matériaux fabriqués avec finesse et habileté et créer de nouveaux liens dans mes collages, notamment à partir de différentes cultures qui se rencontrent et se complètent dans mon travail.

     

    F.M : Parlez-nous de votre rencontre décisive et de votre collaboration fructueuse avec Roger Moukarzel...

     

    Marion Boehm : ma galeriste a attiré mon attention sur les portraits de Roger parce qu'elle voyait des points communs dans nos travaux, ce qui s'est confirmé par la suite.

    Roger Moukarzel est un photographe qui a le sens de la tolérance, de la diversité et de la beauté. Il est capable de raconter des histoires à travers ses photos. Comme ses portraits de femmes fortes et belles qui m'interpellent : j'aime reprendre le fil et en faire d'autres histoires avec mes collages. Je laisse au spectateur le soin de continuer à les tisser lui-même....

     

    F.M : Les titres de vos portraits sont-ils un "indice, permettant de dévoiler le personnage de l'œuvre" ?

     

    Marion Boehm : Les titres de mes photos sont généralement des prénoms. C’est ainsi que les personnages dont je fais le portrait se présentent au spectateur afin qu'ils puissent continuer à "converser" ensemble sur un plan personnel.

     

    F.M : Quels sont les supports ou les formes d'art que vous aimez ?

     

    Marion Boehm : Le plus important est de loin le collage, avec de nombreux matériaux qui, sur fond d'histoire, rencontrent d'autres cultures dans la composition, tout en créant une symbiose. Mais la photographie est également importante pour moi, car elle permet de fixer dans des portraits des expressions très particulières, des moments de rencontre.

     

    F.M : Dans quelles conditions créez-vous ?

     

    Marion Boehm : En fait, "cela" travaille toujours en moi. Le processus commence généralement bien avant la réalisation d'un collage en particulier, lorsque je rassemble des matériaux qui m'attirent et qui racontent déjà eux-mêmes une histoire. Des fragments de voyages, de rencontres, de littérature et de documentaires, mais aussi de musique ou de senteurs, déclenchent en moi un processus qui développe ensuite sa propre vie et auquel je ne peux plus me soustraire. Lorsque je travaille, je me déconnecte complètement de l'environnement et une sorte de processus méditatif commence à guider mes mains.

    Les personnages et moi nous observons longuement dans mon atelier, nous échangeons et nous nous déchiffrons jusqu'à ce que nous soyons satisfaits.

     

    F.M : Vous dites au nom de la sororité : « C’est pourquoi j’aime faire des portraits de femmes. Elles sont les ambassadrices de leurs cultures. A travers mes œuvres, le spectateur découvre qu’il peut lire sur leurs visages, comme dans un livre ouvert, des fragments qui sont autant de lectures et de dialogues qui incitent à la réflexion.

     

    Marion Boehm : D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours battue pour les droits des femmes. Inspirée par les désavantages et les préjugés qui m’ont été infligés personnellement, mais aussi, bien sûr, par l'injustice bien plus grande dont sont victimes de nombreuses femmes dans le monde.

     

     

    F.M : Diriez-vous que DE FIL ET DE RENCONTRES est fédérateur d’un voyage, d’un dialogue tissé par les visages féminins, rappelant vos pérégrinations comme un chapelet de rencontres et de liens entre Paris et d’autres pays ?

     

    Marion Boehm : Oui, d'une certaine manière. J'aime Paris en tant que carrefour de nombreuses cultures, notamment du continent africain. En plus de son rôle croissant en tant que capitale des arts plastiques. 

    J'y ai déjà rencontré de nombreuses personnes créatives et j'ai déjà réalisé une série de portraits d'amis artistes ayant des racines africaines et vivant à Paris. Les deux portraits de Serge et Barthélémy Togo en font partie.

     

    F.M : Parlez-nous de l'œuvre qui représente Barthelemy Toguo ?

     

    Marion Boehm : J’ai fait le portrait de Barthélémy plus grand que nature, comme un roi, avec sa culture en toile de fond. Je l'admire en tant que collègue, car il est un véritable modèle non seulement pour les jeunes artistes de son pays, auxquels il transmet son savoir, mais aussi pour toute une génération.  Voyageur entre les cultures, il vit et travaille à la fois à Paris et à Bandjoun, au Cameroun. Son projet "Bandjoun Station" soutient les jeunes artistes contemporains, est ouvert à toutes les cultures et offre des possibilités d'expositions et d'artistes en résidence.

     

     

    F.M : Aujourd'hui, le rêve sud-nord est inversé : c'est le nord qui va vers le sud. Il y a un entre-deux, le nord et le sud s'imprègnent tout en s'exprimant sur la scène de l'art contemporain africain...

     

    Marion Boehm : Ce sont justement les rencontres ouvertes et honnêtes qui sont si importantes pour créer une interaction respectueuse les uns avec les autres. L'art peut y inciter et apporter une contribution majeure.

     

    ©AYN Gallery