BILAL BAHIR, MAGICIEN DU RÉCIT
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Dalila Azzi: Comment choisissez-vous le support sur lequel vous allez travailler?
Bilal Bahir: Je recherche des documents anciens dans le monde entier —tous les livres, tous les documents qui ont une histoire — et je les range jusqu'à ce qu'ils m'appellent. Un vieux papier a une histoire et une âme. Ma relation avec les vieux livres a commencé lorsque j'ai rendu hommage à l'histoire de la Maison de la Sagesse à Bagdad. J'ai réalisé un travail sur le siège de Bagdad de 1258 au cours duquel, Hulagu Khan a détruit la Maison de la Sagesse, la principale bibliothèque du centre intellectuel majeur du monde arabe. Fondée au huitième siècle, elle contenait d'innombrables documents précieux qui s'étaient accumulés pendant cinq cents ans. De nombreux livres ont été jetés dans le fleuve Tigre, dont les eaux ont été noircies par l'encre. En une semaine, des bibliothèques et leurs trésors, accumulés pendant des centaines d'années, ont été brûlés ou détruits. Selon un écrivain, les livres étaient si nombreux qu'ils formaient un pont capable de porter un homme à cheval. C'est ainsi que j'ai commencé à travailler sur des documents imprimés.
D.A: Vous dites que votre exposition s'inspire de la poésie du philosophe mystique Jalal Eddine Rumi, comment exprimez-vous cela dans vos œuvres?
Bilal Bahir: J'introduis ses poèmes entre mes dessins et j'ajoute une phrase pour créer un équilibre entre l'image et le texte. Mon âme en a besoin et parfois l'inconscient joue un rôle très important. Je traduis sa poésie par le dessin : "Quelque part au-delà du bien et du mal, il y a un jardin. Je t'y rejoindrai". Cette poésie m'a inspiré un tapis volant qui fait référence à la mythologie persane. Comme le raconte une légende, le roi Salomon possédait un tapis volant qui, selon certains, lui aurait été offert par la reine de Saba et qui fait référence au jardin d'Eden.
D.A: Sur certains de vos dessins, il y a des inscriptions en arabe, ne croyez-vous pas que pour le public non arabophone, une partie de votre travail reste inexpliquée?
Bilal Bahir: Mes dessins sont un langage universel, même si nous ne comprenons pas le texte, l'image apportera une réponse. Et parfois, si on ne la comprend pas, elle reste mystérieuse. La calligraphie apporte une autre dimension, indépendamment du langage.
D.A: Il existe un lien indéniable entre l'écriture et la peinture dans vos œuvres, est-ce que vos dessins sont une réinterprétation des textes sur lesquels vous travaillez?
Bilal Bahir: Pour moi, il n'y a pas de dessin sans texte, tout comme il y a une image et un texte dans un journal, le lien entre eux est indissociable. J'essaie de garder un équilibre entre les deux, parfois cela dépend du sujet des dessins et du projet. Une de mes œuvres récentes était une série, je l'ai tirée du livre des Fables de La Fontaine et j'ai redessiné dessus les anciens dessins de Kalila et Demna de manière à montrer l’origine des Fables.
D.A: Vous bouleversez les canons académiques à travers les thématiques de vos productions et vos représentations artistiques syncrétiques et hybrides, quels sont vos sources d'inspiration?
Bilal Bahir: Je n'ai pas de limites (je dessine comme un enfant) en dehors du champ de la complexité. Je suis inspiré par le mouvement Dada qui a émergé après la Première Guerre Mondiale, comme une sorte de mouvement anti-guerre. Pour moi, il existe un lien historique, en particulier avec l'Irak, qui a connu de nombreuses guerres. Ma deuxième source d'inspiration comprend les vieux dessins persans, le surréalisme, et la poésie de Charles Bukowski et de Baudelaire.
D.A: Cette exposition est un voyage entre l'Orient et l'Occident, quelle est votre prochaine aventure artistique?
Bilal Bahir: Prendre mon génie sur mon tapis volant et explorer une autre partie du monde.
©AYN Gallery