SALIM LE KOUAGHET, WAST-ED-DAR "DÉVOILÉ"
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Dalila Azzi : Votre exposition est intitulée ‘‘Wast Ed dar dévoilé’’, pouvez-vous nous en dire plus et nous expliquer la raison de ce choix ?
Salim Le Kouaghet : Les anciennes maisons en Algérie étaient de véritables joyaux de l’architecture traditionnelle. La partie centrale appelée en arabe Wast Ed dar, littéralement le milieu de la maison, a toujours été de forme carrée. Un espace fondamentalement féminin où les femmes se réunissaient autrefois. C’est un hommage à toutes celles qui étaient confinées dans les espaces intramuros et dans la sphère domestique.
J’ai déjà fait une vingtaine de Wast Ed dar. La première exposition s’intitulait number one et celle-ci Wast Ed dar dévoilé, les autres n’ont pas de titres. Mon intérêt pour cet espace remonte à mon enfance. Je me souviens que j’étais intrigué par les intérieurs des maisons. J’étais toujours curieux de savoir comment étaient les maisons de mes copains, et ce qu’il y avait derrière ces portes, dont le seuil constituait la frontière entre l’espace public et l’espace privé.
D.A : La plupart de vos œuvres ne sont pas titrées, est-ce que cela s’inscrit dans une quelconque démarche artistique ?
Salim Le Kouaghet : Ce n’est pas une démarche artistique comme telle. De nombreux artistes font le choix de ne pas titrer leurs œuvres, surtout lorsqu’il s’agit d’œuvres abstraites. Me concernant, l’absence de titre est probablement liée à la remise en question de tous mes acquis et de tout mon travail artistique effectué avant cette période. Je revenais à de nouveaux formats où il y avait des toiles blanches avec une lacération ou deux, sans aucun titre attribué.
D.A : Il semble que vous ayez une fascination pour la lettre alif, qui représente d’ailleurs un pilier essentiel –au sens propre et figuré- de votre travail. Quelle en est l’origine ?
Salim Le Kouaghet : Ma rencontre avec l’alif est plutôt le fruit du hasard, il s’est révélé à moi lors de la lacération. Ce geste m’a ouvert une porte sur la première lettre de l’alphabet arabe. L’alif a apaisé mon geste, et c’est à partir de là que ma graphie est née. Une douceur qui me renvoie à mon enfance et à mes origines.
D.A : Est-ce que les alif de vos installations ont déserté la toile pour revendiquer une existence à part entière ?
Salim Le Kouaghet : Absolument ! La première fois que j’ai symbolisé l’alif sur une toile c’était avec un tasseau peint en noir. Après un voyage en Algérie, je suis revenu avec un tapis fait par mes parents. Une fois dans mon atelier, j’ai pensé à sortir l’alif de la toile et de le représenter dans l’espace. J’ai habillé l’alif avec les couleurs de ce tapis, et à partir de là, il a acquis un corps, s’est paré de couleurs et offre depuis une ouverture sur d’autres cultures aussi.
D.A : Certaines de vos œuvres fascinantes et intrigantes à la fois, ressemblent à de la calligraphie arabe, dans sa fluidité, son mouvement et sa grâce, pouvez-vous nous en parler ?
Salim Le Kouaghet : Comme je l’ai dit précédemment, ma découverte de l’alif a apaisé mon geste de lacération. Cet apaisement m’a renvoyé à l’écriture arabe, que je ne maîtrise pas complétement d’ailleurs. Cependant, la source de mon inspiration était de recréer le geste et l’essence même de l’écriture. Je reconstruis un rythme entièrement nouveau par rapport à mon placement face à la toile. Comme la plupart des enfants de mon âge à l’époque, j’ai appris le Coran sur des planchettes de bois (aluha en arabe). Je me souviens du mouvement des lettres et de leur musicalité, et c’est exactement cela que je tente de recréer dans mes œuvres.
D.A : Vous introduisez quelques caractères berbères dans vos œuvres, quel est votre lien avec cet alphabet millénaire ?
Salim Le Kouaghet : C’est en étant en France que j’ai pris conscience de l’importance de mes origines. J’ai toujours cette image vive de mon douar M’Chatt, complétement détruit durant la colonisation. Lorsque j’ai commencé mon travail artistique, il y a toute mon enfance qui est revenue. Autour des portes des maisons de mon village, il y avait des signes berbères, en guise de décoration ou peut-être de protection. Aussi, tous les jeunes garçons portaient à cette époque des chechias rouges. À l’intérieur de chacune, il y avait un signe berbère qui distinguait un douar d’un autre. Chaque village avait son caractère unique, et si un enfant venait à perdre sa chechia, il était facile de savoir à quel douar elle appartenait. Tous les ustensiles de cuisine ainsi que les tapis étaient également décorés de caractères berbères. Je recrée tout ce que j’ai vu et vécu dans mon enfance.
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